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Escartille le troubadour
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Mai 1207

« Oyez, oyez, braves gens ! Ceci est l’histoire

de ma vie, elle vient de nulle part, de partout où

le soleil luit. Une histoire, c’est comme une

fleur : elle naît, elle vit et elle meurt… »

ESCARTILLE DE PUIVERT,

Chanson albigeoise, « le Livre de Vie ».

L’amour !

Allons, bois, Escartille ! Bois encore : tu vas en avoir besoin.

En ce début du XIIIe siècle vivait un jeune troubadour qui se prénommait Escartille. Escartille avait à peine vingt ans et logeait au château de Puivert, ce château à la pierre blonde et lumineuse, qui dresse ses murailles au-dessus du plateau de Sault et du Quercorb. Puivert était alors le centre des arts et de la galanterie. Escartille y vivait au milieu des dames et des musiciens. Les fêtes s’y succédaient au rythme des saisons. Les seigneurs du château, placés sous la tutelle du suzerain Bernard du Congost, accordaient l’hospitalité à tous les chevaliers et poètes de passage. Ils formaient la plus belle cour d’amour d’Occitanie qui, à cette époque, était presque aussi vaste que le royaume de France. Parangon d’une civilisation florissante, Puivert était une permanente terre de conquête, un paradis pour ces amants d’autrefois.

Depuis qu’il était né, dans un village du nom de Lavelanet, Escartille n’avait cessé de sillonner les cours de Provence, du Limousin et du Languedoc ; il avait traversé les comtés de Foix, de Toulouse et la vicomté des Trencavel. C’était là, entouré des accents rocailleux de la région, au milieu de ces paysages inondés de soleil, qu’il développait son art, protégé par les seigneurs du lieu qui avaient pour habitude d’accueillir à bras ouverts ce troubadour peu commun. Lointain disciple de Guillaume de Poitiers et de Chrétien de Troyes, chantre de la fine amor et de la courtoisie, Escartille savait, de sa voix chantante, illuminer les riches heures de l’aristocratie occitane. Fils de rien, ce jeune homme aux cheveux longs, à l’œil insolent, aussi téméraire en amour qu’il était couard pour tout le reste, séduisait par sa truculence, son sens de la formule et ses rires haut perchés. Depuis quelque temps, il songeait à quitter son pays occitan pour rejoindre l’Espagne ; mais il s’était réfugié finalement à Puivert, d’où il comptait partir bientôt vers une destination qu’il ignorait encore. Tel était le brave Escartille : il allait où ses caprices le portaient, pour peu qu’il trouve des mignonnes aux hanches larges et quelques seigneurs au solide caractère, susceptibles de lui assurer sérénité et protection.

Escartille, à vrai dire, ne vouait sa vie qu’à une chose : le service de ces dames – de la Dame. Qui n’a pas connu les femmes occitanes n’imagine guère l’obsession qu’elles pouvaient faire naître dans le cœur des hommes : mais c’étaient elles, la fine fleur de l’Occitanie ! Ces élégantes et leurs riches surcots, apprêtées jusqu’aux ongles, revêtues de leurs capes ondoyantes, de gonnelles, de garnaches, de bracelets, de fourrures d’écureuil et de cendal, jusqu’à vous faire tourner la tête ! Bourgeoises ou châtelaines, rangées en groupes comme pour la bataille, n’attendaient que de présenter leurs seins aux regards. Chaque matin, elles se lavaient, se fardaient, se peignaient, en présence de leur époux et parfois, des écuyers et des amis de la famille. Dès la toilette, c’était l’invasion. Les galants se pressaient autour d’elles. Entre deux pâmoisons, guettant les bras dans lesquels elles pourraient tomber, les coquines continuaient de tamponner leurs pommettes de rouge ou de safran, soulignaient leurs yeux d’un trait brillant. Et lorsqu’elles sortaient en pleine lumière, oh là !… La femme occitane, celle de tous les poèmes et de tous les chants ! Elle était fougueuse, irrésistible ! Un second soleil au plus haut du firmament !

Ainsi, Escartille chantait sans cesse les dépossessions de son cœur. Il ne suivait qu’une seule loi, héritée de ses pairs : celle de la cortezia. Il fallait être prêt à admettre tous les caprices de l’adorée. Tel était le prix des passions souveraines. D’amor mou castitaz ! disait-on à Toulouse : d’amour vient chasteté. Certaines faisaient languir leurs prétendants, assignant à leur vertu l’ordre de ne pas céder, et laissant à leurs sigisbées le soin d’accomplir les prouesses les plus invraisemblables. Ainsi, Escartille chantait, au milieu des lierres grimpants et des bouquets de roses ; volage ou fidèle, il chantait, tantôt sous les balcons fleuris, tantôt au milieu de festins dignes des anciennes orgies romaines.

C’était cela, Puivert ; c’était l’entendensa d’amor.

Allons, bois, Escartille ! Bois encore : tu vas en avoir besoin.

Le troubadour termina d’un trait son verre de vin.

En ce jour de mai, la population du village situé aux abords de Puivert fêtait le retour du printemps. C’était la fin de l’après-midi. Un soleil éclatant brûlait les vignobles de la vallée. Paysans, tenanciers et alleutiers achevaient leur journée. On empilait des bottes de foin, les hommes ahanaient, les femmes chantaient. Certains remontaient vers le castrum avec empressement, traînant leurs mules et leurs bœufs, guillerets à l’idée de la fête qui les attendait et dont ils entendaient la rumeur venir jusqu’à eux. Au loin, on devinait la cime des montagnes, les massifs de Saint-Barthélemy et des Trois-Seigneurs, rubans déchiquetés de brun et de blanc sous le ciel. On apercevait aussi la silhouette du pech de Montségur, où s’achevait la construction d’un nouveau château du vertige.

Escartille était attablé au milieu des réjouissances. Derrière lui, les artisans travaillaient le vitrail, le cuir, les bijoux ; plus loin, c’était la vannerie, la poterie, la sculpture. Les habitants se disputaient canards et cochons de lait, perdrix et jambons, saucisses et poulardes toulousaines. Entre les corbeilles de fruits qui coloraient ces banquets, on trouvait aussi des fromages de chèvre, des crêpes, des gâteaux de beurre et des pâtisseries de toutes sortes, buynettes parfumées à la fleur d’oranger ou rousquilles aux amandes, qui passaient de main en main. Rien ne manquait, surtout pas les vins, de Gaillac, du Roussillon et des Corbières, qui arrosaient ces tablées comme autant de fontaines magiques. Une brise légère circulait au milieu de ces mets alléchants. Les danseurs tournoyaient devant l’église et la fontaine, où s’abreuvaient quelques chevaux. Harpes, luths, guitares, cors et timbales : non loin, les musiciens s’en donnaient à cœur joie, dans une furieuse cacophonie. Des femmes au drapé multicolore virevoltaient au son des tambourins. Provisoirement délestés de leur sébile, des mendiants se précipitaient pour se remplir la panse ; on les repoussait d’une claque ou de la pointe d’un couteau. De l’autre côté de la place, des comédiens et des jongleurs avaient monté leurs tréteaux. Ils commençaient à divertir le public : leurs fabliaux mettaient en scène les paysans et les seigneurs, les maris et leurs femmes, les évêques et les curés, les saints et les démons. La foule riait. Entre deux saynètes, les amuseurs se livraient à leurs acrobaties et à leurs tours de passe-passe, avec des pommes ou des couteaux.

— Allons, bois, Escartille ! Bois encore, tu vas en avoir besoin.

— Taisez-vous, par pitié, lança le troubadour à ses deux compères.

Et il ajouta, d’un ton solennel :

— Je crée.

Son instrument posé non loin de lui, il surveillait une tourelle, à l’angle de la rue des Vierges. Il attendait avec impatience qu’Aurore de Pamiers, la dame de ses pensées, daignât montrer son mouchoir à travers le vitrail losangé qui donnait dans le secret de sa chambre, en haut du lierre. Escartille avait la voix bien claire, mais il lui faudrait du coffre pour lui chanter les vers qu’elle lui avait inspirés, avec tout ce brouhaha. Le moment était peut-être mal choisi : il redoutait les foudres du sire de La Cornette, bourgeois de Puivert et époux d’Aurore, qui avait eu le malheur, un soir, d’accueillir le troubadour sous son toit. Escartille savait que La Cornette s’était absenté. Il ne pouvait résister au plaisir de profiter de la fête pour séduire la belle, consignée en sa maison. Il était attablé avec Gilles et Pérotin, deux autres charmeurs à la réputation de bandits. L’un, chauve et rondouillard, avait un cou de taureau et un faciès mafflu ; l’autre, une trogne allongée, des bras interminables, et le dos voûté – à force, sans doute, de se baisser pour entrer dans les auberges où il avait coutume d’achever ses nuits. En face d’eux, Escartille achevait sa composition, au milieu des débordements de ripaille. De temps à autre, il portait sa plume et ses doigts à ses lèvres, un sourire léger venait flotter sur son visage ; mais il était aussitôt rattrapé par les railleries de ses amis, qui se moquaient bien haut de ses espérances.

— Mets ton froc en berne, Escartille ! tonitruait Gilles entre deux goulées de vin. Tu cours à l’échec ! Que La Cornette revienne et il te frottera les oreilles à la première de tes chansons !

— Qui donc ! Ce vieillard sénile ? dit Escartille en brandissant sa plume. Il ne me fait pas peur ! S’il lançait ses soldats à ma poursuite jusqu’en Aragon, je m’en moquerais bien. Rien ne me retient ici, mes amis, rien sinon elle ! Et avec le lai que je lui ai préparé, Aurore ne pourra qu’être charmée.

— Oui, rétorqua Gilles, postillonnant, comme l’ont charmée tes huit chansons précédentes !… Allons, Escartille. Ta belle Aurore doit avoir les cuisses bien fraîches, je le concède ; mais jamais elle ne les écartera pour ton archet !

— Comment oses-tu parler ainsi de cette sirène, Gilles ? rétorqua le troubadour. Tu n’es qu’un pourceau. Mais assez ri ! Mon heure va venir.

Le geste ample, Escartille écarta les bras et bondit sur son tabouret ; en un clin d’œil, il fut sur la table. Il tourna sur lui-même devant ses amis, la cape déployée, au milieu des monceaux de victuailles qui l’entouraient. Ses cheveux dansèrent un instant dans le vent. Puis il ôta son galurin en apostrophant les comédiens, à l’autre bout de la place.

— Holà, amis jongleurs ! Bénissez-moi ! Oyez, gentes dames, damoiseaux du monde entier ! Je suis Escartille de Puivert, le troubadour ! Croyez-moi : l’heure de la vérité a sonné.

Il s’inclina de nouveau sous le soleil. Puis il sauta de table, termina son vin d’un trait et s’essuya les lèvres de la manche. Il remit d’aplomb son bonnet, dans lequel il ficha sa plume tachetée d’encre. Enfin, il empocha son rouleau à peine sec et se dirigea d’un pas gaillard vers la rue des Vierges.

Gilles et Pérotin applaudirent devant l’audace.

— Garde ton chef et bats ta coulpe, troubadour ! Tu vas recevoir autant de fleurs que de pots !

Escartille, déjà, ne les écoutait plus. Arrivé à son poste, il s’éclaircit la voix, le regard rivé sur le lierre qui montait jusqu’à la fenêtre de la douce. Que s’ouvrent les petits losanges, et la grille du cœur d’Aurore ! Il accorda son instrument, ajusta doucement son archet et commença de chanter, levant la tête.

Aurore, Aurore, douce amie d’amour et de joy,

Écoute ma complainte, à l’ombre du verger,

Je ne veux ni l’empire de Rome, ni celui d’aucun roi,

Ramasse seulement ce cœur embrasé

Qui gît devant toi, marri et piétiné !

Ramasse-le, et d’un baiser

Fais-le revivre à tout jamais !

La fenêtre ne s’ouvrit pas. Depuis la table, Gilles imita le bêlement d’un mouton. Pérotin renchérit :

— Aurore, Aurore ! Elle ne va pas tomber du ciel, ton Aurore !

Escartille leur décocha un coup d’œil noir, mais, obstiné, refusa de s’arrêter. Au contraire, il repartit de plus belle, haussant encore la voix :

Aurore, Aurore, douce amie d’amour et de joy,

Écoute ma complainte, à l’ombre du verger,

Je ne veux ni l’empire de Rome, ni celui d’aucun roi…

Il entonna son couplet six ou sept fois. Ses compagnons en furent bientôt lassés et se servirent une nouvelle rasade de vin. Sur l’estrade où s’exhibaient les comédiens et les jongleurs, un homme en armure parut, portant haut son étendard, sur lequel on pouvait voir un fauve à trois têtes, avec des pieds de griffon. Il frappa le sol du pied, tandis qu’un autre amuseur déguisé en femme, les tresses surmontées d’une couronne de gui, les seins rembourrés de chiffons, venait se jeter à ses genoux. Derrière eux, une toile tendue contre un bout de bois figurait le mât d’une nef prête à tanguer vers l’océan. Gilles, distrait un instant par cette agitation, aperçut un enfant qui tentait de lui soustraire une grappe de raisin. Le gamin avait un visage malicieux et une tignasse qui devait abriter toutes les lentes de la terre. Il voulut se sauver. Gilles lui fit un croc-en-jambe et le gamin s’aplatit dans la poussière. Gilles éclata de rire.

— Voilà pour toi, gredin ! Et maintenant, mange-les, tes raisins !

Escartille, quant à lui, continuait de chanter sous la tourelle.

Soudain, il vit bouger le vantail de la fenêtre.

Oui, oui ! Il a bougé, j’en suis sûr !

Allait-il voir la belle ? Oh, cette bouche, cette peau d’ambre, ces yeux, ce corps de déesse !

Montre-toi, mon oiseau, ma sirène, ma fée !

Le cœur d’Escartille bondit de joie et sa voix monta encore d’un ton lorsqu’il vit une main blanche pousser le battant de la fenêtre.

La dame parut. Elle sourit au troubadour et recula dans l’ombre.

Ni une, ni deux ; Escartille tourna vers ses amis un regard vainqueur. Gilles frappa Pérotin du coude et désigna le troubadour. Escartille eut un rire clair ; il rangea son rebec, ramena sa cape derrière ses épaules et s’élança le long du lierre, sans se soucier de la foule captivée par le spectacle qui se donnait sur la place. En quelques instants, il fut au balcon de la dame, et n’eut qu’à se glisser par l’ouverture pour disparaître à l’intérieur. Ses deux compagnons, interloqués, échangèrent un regard. Puis ils partirent d’un grand rire et trinquèrent aux plaisirs que leur ami s’apprêtait à voler.

Escartille atterrit avec souplesse dans la chambre d’Aurore. Une tapisserie recouvrait l’un des murs de pierre. Non loin, une tête de cerf surmontait la cheminée, accompagnée de deux lances entrecroisées. Dans un coin de la pièce, un fuseau n’attendait que les doigts de la belle pour reprendre le filage de la laine et du lin. Aurore se tenait debout devant un lit immense, cerné de deux rideaux de toile blanche. Sur le visage, un sourire à faire chavirer le cœur, qui portait toute la timidité et la fraîcheur de son jeune âge. Comment ne pas brûler de convoitise devant cette invitation au plaisir ? Escartille se redressa, on l’eût dit prêt à déclamer ; puis il se jeta à genoux devant Aurore en écartant les bras. Son instrument vibra d’un son désaccordé tandis qu’il saisissait la main de la jeune femme.

— Allons, dit-elle dans un rire, dis-moi, troubadour, qui es-tu pour m’avoir poursuivie de tes assiduités ? Sais-tu que mon époux est la terreur de Puivert, et qu’il est ami du comte de Foix ? Il te couperait la tête pour ton audace, s’il apprenait que tu es ici… Par chance pour toi, il s’est rendu à l’ermitage remplir ses devoirs…

Escartille l’interrompit.

— Un mot, un seul, ma reine : je vous aime ! Je vous aime depuis le moment où mes yeux se sont posés sur vous !…

Sur la place, Gilles fit un signe à Pérotin.

— Oh oh…

La Cornette et sa suite venaient d’entrer dans le bourg, campés sur leurs chevaux, dans un bruit de sabots. À sa vue, les mendiants se dispersèrent. La Cornette ne payait pas de mine : il allait sur ses soixante-dix ans. Recroquevillé sur un alezan aussi fatigué que lui, le vieillard, enveloppé d’un manteau de laine à capuchon, s’arrêta devant l’estrade, en compagnie de ses gens d’armes. Son visage se tordit aux plaisanteries des jongleurs. À Puivert, La Cornette était souvent raillé, du moins lorsqu’il n’était pas là. On le disait cacochyme et sournois, mais on le redoutait. Aurore lui avait été mariée de force, car le vieux ne manquait pas de fortune. Il étendit une main décharnée et demanda à ce que l’on pique pour lui, du bout de l’épée, un morceau de poularde qui trônait sur l’une des tables. Il le dévora comme un écureuil sorti de l’hibernation, cracha le gras sur les pavés et partit d’un rire de fausset.

Dans la chambre de la tourelle, Aurore s’allongeait doucement sur les draps de lin. N’y tenant plus, Escartille, qui s’était arrêté jusque-là au poignet et au mollet, faisait courir ses doigts sur le corps de la belle avec de plus en plus d’insistance, le nez dans cette chevelure blonde et parfumée. Elle riait, cherchait à lui échapper ; puis elle consentit au plaisir.

Escartille retourna la belle pour la délacer.

— Peste ! murmura-t-il.

Les lacets de la robe composaient un entrelacs invraisemblable. Il aurait fallu dix mains pour s’en dépêtrer.

— Comment ? souffla Aurore.

— Rien, ma douce, ma reine, ma gloire, rien.

Pardieu, qui est l’auteur de ce piège ?

Escartille serra les dents.

Gilles fit signe à Pérotin, qui se leva et alla sous le lierre. Il mit ses mains en porte-voix, hésitant entre le cri et le murmure. Il s’essaya à un entre-deux.

— Escartille ! Escartille ! Fuis, tu m’entends ? Le vieux est là !

La Cornette finit par se tourner vers la tourelle et la fenêtre de son épouse.

Il fronça aussitôt les sourcils.

— Qui est ce vilain ? demanda La Cornette à son prévôt, en désignant Pérotin.

Imbert de Castrins ricana et dit :

— Oh, messire… c’est l’un de ces freluquets rimailleurs, qui courent les dames de leurs odes blasphématoires…

— Ah ! dit La Cornette, dont le sang ne fit qu’un tour.

Il poussa un rugissement. Les comédiens s’interrompirent un instant, avant de reprendre leur conte. Les curieux détournèrent la tête. Pérotin, sous le lierre, venait de lancer des cailloux contre la fenêtre. Il sentit que le brouhaha était tombé. Il regarda vers La Cornette, eut un sourire crispé et écarta les bras. Puis il chercha le soutien de Gilles. Celui-ci s’était aplati sur la table, le nez dans les plumes d’une perdrix grise, pour se faire oublier. Devant lui, le jeune garçon à qui il avait fait un croc-en-jambe, couvert de poussière, fit apparaître sa frimousse. Il se passa la langue sur les lèvres, prêt à se venger, mais Gilles lui saisit la tête et lui colla sur la bouche une main noueuse.

— Tais-toi, chuchota-t-il, ou je t’étripe avant de te faire rôtir à la broche.

Pérotin fit un pas de deux pour se détourner, de l’air le plus tranquille possible.

Puis il détala.

— Attrapez-le ! hurla le sire de La Cornette.

Tout à son affaire, Escartille fit jaillir la lame d’un couteau et, d’un coup, trancha les liens qui enserraient la belle. Celle-ci lança un Oh ! de surprise et de plaisir mêlés. L’amour ! Il était maintenant tout près, à portée de main ! Tremblant, Escartille fit pivoter Aurore sur le dos. Elle lui sourit, espiègle. Il souleva ses jupes, lâcha son instrument ; puis il redressa le poitrail, le gonfla comme un coq, et écarta les cuisses de la jeune femme…

Et ce fut l’assaut.

Pérotin échappa à ses poursuivants en se cachant à l’intérieur d’un tonneau de vin. La Cornette, lui, monta jusqu’à sa tourelle, suant et soufflant ; l’un de ses hommes lui donnait le bras. Les yeux injectés de sang, il fit irruption dans la chambre. Le spectacle qui s’offrit à lui le fit blêmir de fureur. Aurore, troussée comme une agnelle de premier lait, les joues empourprées, criant sous Escartille !

— Mais… combien sont-ils ? s’écria La Cornette.

— Oh oh, dit Escartille, se rajustant aussitôt.

La Cornette voulut saisir une épée. Il manqua de se prendre les pieds dans son manteau.

— Hérétique !

Escartille n’eut que le temps d’attraper son rebec avant de bondir par la fenêtre, tirant le vitrail derrière lui ; il glissa avec agilité le long du lierre et, arrivé au sol, donna de nouveau de l’archet en regardant la tourelle :

Aurore, Aurore, douce amie d’amour et de joy,

Écoute ma complainte, à l’ombre du verger,

Je ne veux ni l’empire de Rome, ni celui d’aucun roi…

Escartille entendit La Cornette rugir de nouveau. Aurore apparut avec son mouchoir. Elle jeta un regard implorant vers le troubadour, avant que le vieillard la saisisse par le bras pour la ramener dans l’ombre. Le prévôt et les archers du sire de La Cornette se précipitèrent sur le troubadour. Les jongleurs s’arrêtèrent pour de bon. Escartille regarda l’effroyable remue-ménage autour de lui.

Une flèche siffla à ses oreilles.

La Cornette, l’écume aux lèvres, s’écria depuis la fenêtre :

— Tuez-le, vous m’entendez ? Prenez-le et tuez-le !

Alors Escartille bondit.

Il sauta de table en table, manquant de glisser sur les andouillettes, évitant de justesse le cassoulet bouillant. On s’écartait devant lui. Il sauta sur l’estrade où se dispersaient les comédiens et la traversa d’un trait, écorchant au passage la belle travestie aux seins de chiffon. Une nouvelle flèche vint siffler à ses oreilles et alla se ficher dans l’enseigne de l’auberge – Au vieux faisandé. Un autre bond, et Escartille disparut dans une ruelle, courant à perdre haleine. Peine perdue : il fut bientôt cerné lui aussi.

Cette fois, mon vieil Escartille, je crois que c’est bien mal engagé.

Les loups s’avançaient vers lui, le prévôt Castrins en tête. L’image de cet homme au visage déformé de malice, aux yeux étincelants, lui parut celle d’un mauvais juge échappé des enfers. Castrins tendit le doigt vers le troubadour. Tremblant comme une feuille, Escartille fit la grimace. Mon Dieu, Seigneur Très-Haut, cette fois je crois que je vais Vous rejoindre… faites que je n’aie point trop fauté à Votre goût, Vous savez, je n’ai jamais su parler que le langage du cœur et de l’amour, Mon Dieu, je Vous en supplie…

Il ouvrit les yeux.

On l’ajustait.

Escartille eut alors une inspiration. Il avisa un cheval qui s’abreuvait à quelques mètres de lui. Il se jeta en avant, passa miraculeusement au milieu d’un essaim de flèches. D’un bond, il fut en croupe et donna furieusement du talon en s’aplatissant contre l’encolure de l’animal, qui partit au galop.

Escartille traversa la forêt des archers ; La Cornette et le prévôt hurlaient.

Le troubadour osait à peine ouvrir les yeux.

Le château ! Le château pour seul refuge !

Mon Dieu, c’est un miracle, Vous m’avez entendu ! Sachez qu’après cela, jamais je ne Vous manquerai de respect, croyez-le, je suis Votre débiteur à tout jamais !

Comprenant qu’il était bel et bien vivant, Escartille saisit son chapeau à plume d’oie qu’il fit tournoyer au-dessus de sa tête, et partit d’un grand éclat de rire.

Il en était ainsi, à Puivert. Escartille, familier de toutes les séductions, assuré de la protection du seigneur Bernard du Congost, entretenait ce galant florilège, plein de promesses et de légèreté. Une Aurore n’était pas tout à fait oubliée qu’elle laissait place à une autre. On ne comptait plus les maris éconduits. Et Escartille continua jusqu’au jour où il fit une rencontre qui devait bouleverser son destin.

Ce fut une jeune Espagnole qui, parmi toutes les belles qui s’aventuraient au château, envoûta Escartille. Elle s’appelait Loba, la Louve, c’était une noble dame que son père, seigneur aragonais, menait par le comté de Foix et de Toulouse. Une peau moirée, privilège des femmes du Sud ; une chevelure brune et bouclée qu’elle coiffait avec un soin extrême ; un fard discret, qui accentuait la délicatesse de ses traits ; des seins comme ces fruits de l’Alhambra de Grenade. Et son regard… Oh, ce regard ! Escartille y voyait les étoiles et la noirceur de la nuit ; elle le dissimulait derrière un éventail sévillan, dont l’indolence faisait chavirer le jeune troubadour. C’était un bonheur que de la voir marcher, farouchement corsetée sous des manteaux de lin, de vair ou de zibeline. Elle n’avait pas dix-sept ans.

Sitôt qu’il la vit, Escartille se jeta d’un bout à l’autre du château pour s’enquérir de tout ce qu’il pouvait apprendre d’elle. Il n’était pas un seul de ces intendants, de ces ménestrels et de ces seigneurs qui, accoutumés à ses élans, ne tombât dans ses filets. Eux qui n’étaient pas en reste, et qui lui faisaient d’habitude toutes les confidences propices à sa réussite, ne lui donnèrent cette fois qu’une seule et même réponse. Il lui était interdit d’approcher la belle Espagnole. La dénommée Louve était une favorite de Pierre II – le roi d’Aragon, lui-même ! Il lui avait fallu beaucoup d’astuce pour déjouer les avances de ce roi, sans jeter l’opprobre sur la maison de son père. En ces temps où l’on avait coutume de céder les femmes comme des villes, il fallait parfois moins que cela pour tomber en disgrâce. Mais Loba était d’une eau trop limpide pour mériter le courroux de Pierre II. Son père, Don Antonio de Bigorre, conseiller de Sa Majesté, était venu en ambassade diplomatique auprès de Raymond VI, comte de Toulouse, pour s’enquérir de l’affaire des hérétiques cathares et de la menace que Rome commençait de faire peser sur eux. Don Antonio avait emmené sa fille pour lui faire voir du pays et l’écarter quelque temps de cette cour d’Aragon où, disait-on, la reine commençait à se lasser des amitiés de son époux pour d’autres enjôleuses. Fous ! Qu’ils étaient fous de penser dissuader Escartille par de telles paroles ! Loin d’avoir entamé sa résolution, ils ne réussirent qu’à l’enflammer davantage. La belle était tombée d’une cour dans une autre, d’amor celle-ci ; et il allait laisser l’oiseau s’envoler ?

Bernard du Congost et sa femme Arpaïx organisaient souvent de longs repas auxquels étaient conviées les dames du château. Les troubadours inventaient chaque jour de nouvelles énigmes, qui ne lassaient jamais l’auditoire : Vous voici partagé entre deux femmes, l’une belle autant que sotte, l’autre laide, mais riche et sensée. Laquelle choisiriez-vous ? Voilà le genre d’énigmes qu’ils jetaient en dispute. Cet après-midi-là, par une chaleur accablante, Loba la Louve apparut dans tout l’éclat de sa beauté. Lorsque Escartille fermait les yeux, il sentait venir jusqu’à lui un parfum de musc et d’oranger, qui lui évoquait des contrées lointaines et chaleureuses. Il chanta son poème, qu’il ne manqua pas de dédier à la jeune femme. Il lui sembla que Louve l’écoutait avec intérêt. Il risqua alors un regard insistant ; elle le soutint avec candeur. Enhardi, il lui saisit la main, sous le regard sévère de son père. Louve s’empressa de détourner les yeux, avant de faire frémir son éventail. Pourtant, à ce moment, le cœur du troubadour s’illumina de joie ; il sentit poindre une révolution.

Après cela, il était décidé à faire fructifier son avantage. Don Antonio n’était pas ici pour le plaisir ; en prélude à sa rencontre avec le comte de Toulouse, il devait s’éloigner de Puivert pour prendre des nouvelles des châteaux voisins. Il se rendait en grand équipage à Quéribus, Peyrepertuse ou Aguilar, sans pouvoir toujours emmener sa fille avec lui. Escartille guettait toutes les occasions. Chaque matin, il se rendait sur les tours pour y accueillir le soleil. Il le saluait avec respect, comme une chance nouvelle d’atteindre son but. Il lui semblait que Loba se levait avec lui et il imaginait le moment où elle lui apparaîtrait enfin. Dès que pointait l’aube, la tête pleine de rêveries, il assistait au spectacle de la nature sortant de son sommeil, aussi ému que s’il s’était agi du premier jour de la création. Le sourire aux lèvres, il ôtait son chapeau et s’inclinait sous le ciel. La moindre sensation qu’il éprouvait semblait se rattacher à elle – Loba la Louve ! La rosée sur les fleurs du jardin, les reflets du lac, lisse miroir en contrebas du château, la fraîcheur matinale de la pierre : tout cela n’avait de grandeur et de signification que parce qu’elle faisait partie de cet univers.

Le monde entier était un écrin.

Il la suivait partout, sans tenir compte des regards. Dans la chapelle, il se jetait à genoux à ses côtés pour adresser à Dieu des prières ardentes ; se promenait-elle dans les jardins qu’il lui emboîtait le pas avec assiduité. Quatre servantes, dont il avait peine à se débarrasser, circulaient avec eux entre les parterres. Il grommelait en essayant de les semer. De temps à autre, Louve cherchait l’ombre des remparts pour se rafraîchir. Escartille lui faisait un tour pour la divertir, lui chantait un lai du haut d’un escalier. Ou bien elle s’aventurait près du lac et, tandis qu’elle marchait sur les rives, s’arrêtant ici et là pour contempler la vallée, il lui faisait le récit de ces légendes que lui avaient rapportées d’autres voyageurs. Il lui suffisait de lui arracher un sourire pour être comblé ; il y voyait un nouvel encouragement. Peu à peu, elle se laissa gagner par sa conversation et par sa voix, elle s’accoutuma à sa présence. Elle ne pouvait plus ignorer son désir.

Et un soir, il advint ce qui devait advenir.

Il est temps, pensa Escartille.

Puivert et ses tours couleur sable, Puivert et son donjon majestueux, dressé dans le couchant, semblait tout entier tourné vers cet événement.

C’était un soir particulier à Puivert. Un cathare venait de se présenter au château, accompagné de son socius, son fidèle adjoint. Lorsqu’ils allaient par les routes d’Occitanie, les disciples de l’Église cathare se déplaçaient par deux. Tandis qu’au village, la fête continuait de battre son plein, là-haut, derrière les murailles de Puivert, à la nuit tombée, on fit silence. La rumeur lointaine des danses et des chants parvenait aux membres de la cour. Debout ou assis auprès de la table, accroupis parfois, les coudes sur les genoux, ils s’étaient rassemblés autour du sire de Congost et d’Arpaïx, à la lueur des flambeaux, en arc de cercle devant le ministre de la contre-Église. On distinguait à peine leurs visages. Le prédicateur, grand et mince, avait une cinquantaine d’années. Bientôt, il sembla que l’assistance buvait chacune de ses paroles. Escartille se sentit troublé par cette voix qui résonnait sous les voûtes. C’était la présence de Louve qui ne laissait pas de l’émouvoir ; ou peut-être le contraste entre le ton austère du cathare et les sentiments éclatants, mais profanes, que lui inspirait la jeune Espagnole. Durant tout le temps qui avait précédé cette homélie, Escartille, installé à l’autre bout de la salle des Musiciens, lui avait adressé des sourires ; elle accueillait maintenant ces œillades avec amusement, considérant, sans doute, que cela ne l’engageait pas encore au-delà de la dignité de son rang. Quant à Don Antonio, il veillait au grain.

Escartille ne connaissait des cathares que ce qu’il avait accepté de retenir. Il en avait rencontré, à Puivert et ailleurs. Il savait qu’ils ne mangeaient ni viande, ni œufs, ni aucun produit de nourriture animale ; qu’ils voyaient en ce monde l’œuvre du démon ; que leur seule arme était le verbe, dont ils usaient dès qu’ils en avaient l’occasion face au clergé catholique, lors de ces multiples débats contradictoires qui avaient fleuri en Occitanie depuis plusieurs années. Le père d’Escartille, Étienne de Puivert, oublié de toute gloire, avait confié son fils unique à un catéchumène de premier ordre avant de mourir ; et le jeune troubadour remplissait aujourd’hui ses devoirs comme il était convenu. Il avait conservé de ses lectures bibliques des images grandioses qui savaient l’émouvoir, et dont il s’inspirait parfois pour ses chants. Il voyait la mer Rouge s’écarter devant Moïse, David terrasser Goliath, Dalila couper les cheveux de Samson, le Christ rédempteur porter la croix du calvaire. Il devinait là l’occasion de poésies sublimes et de paraboles édifiantes. Dieu évoquait pour lui un vieillard aimant, à la barbe fleurie, qui n’était pas sans lui rappeler son père. Mais il ne s’était jamais vraiment préoccupé d’argutie théologique, et s’il croyait, en bon chrétien, à la grâce et aux turpitudes de l’enfer, à la guérison des paralytiques et à la lutte céleste entre les anges et le Dragon au jour du Jugement Dernier, son Église à lui était une Église d’amour. Lorsqu’il s’agenouillait, lorsqu’il levait les yeux vers la croix, c’était pour nouer un dialogue avec son propre cœur, essayer de percer l’énigme de la souffrance des autres, sans mesurer un seul instant à quelles extrémités le catharisme risquait de conduire sa chère Occitanie. Et ce soir-là, la prédication du cathare ne trouvait de couleur mystique que parce qu’elle était présente – Louve, la seule et unique.

À présent que la voix du cathare emplissait la pièce, Escartille ne la quittait plus du regard. Il réussit enfin à capter son attention. Pour la première fois, le troubadour crut lire en elle un véritable élan d’amour. Oui, elle le fixait, non plus comme le jeune homme turbulent qui se pressait autour d’elle ; mais comme un être qu’elle désirait. Je vous aime, murmura Escartille. Devina-t-elle ces mots, venus mourir sur les lèvres du troubadour ? Sans doute, car sa bouche trembla ; ce chuchotement sembla les unir en secret. Troublée, Louve chercha un mouchoir.

Je vous aime.

Elle se tourna de nouveau vers le cathare, mais avait perdu le fil de ce discours. Elle s’en moquait. Escartille, lui, ne savait que penser, alors qu’un tourbillon d’émotions lui étreignait le cœur. Son œil malicieux, ses vêtements colorés, sa tunique tantôt verte comme les pommiers des jardins, tantôt rouge comme le couchant, sa voix claire aux tonalités insolentes, tout manifestait en lui la sève de la jeunesse. Et ce soir, il fallait qu’elle éclate encore, qu’elle éclate enfin.

Pour elle.

Lorsque le cathare eut terminé, il fut invité à un repas frugal, en présence des seigneurs du château. Louve ne devait pas y participer, soit qu’elle eût prétexté quelque indisposition, soit que Don Antonio lui eût ordonné d’aller se coucher. Elle se rendit dans les jardins, à la tombée de la nuit. Escartille s’y glissa à son tour pour la rejoindre. Emmitouflé dans un ample manteau, son chapeau sur la tête, il resta dans l’obscurité à la contempler. Il observait son profil qui se découpait sous l’astre lunaire ; elle se tenait à moitié assise contre l’un des balcons et jouait de son éventail. Elle semblait pensive. La voir ainsi sans se montrer permettait à Escartille de goûter un plaisir sans mesure. Ses longs voiles blancs glissaient autour d’elle, dans la brise de printemps. Son visage renvoyait les ombres des flambeaux allumés autour du château. Oui, c’était elle, l’étoile parmi les étoiles. La Dame blanche.

Elle n’attendait que lui.

Escartille s’avança.

Ils échangèrent un regard intense. Elle ne dit rien, lui sourit. Il s’approcha.

Ils restèrent ainsi silencieux un long moment.

Escartille commença alors à chanter, à voix basse.

Il la sentit frémir. Une étole de soie couvrait ses épaules nues au-dessous de ses voiles. Ses seins se soulevaient au rythme de sa respiration. Elle regardait au loin, vers le village animé de rondes effrénées, écoutant Escartille. Il lui prit la main. Elle frissonna comme si elle avait froid, n’osant se tourner vers lui. Mais elle ne retira pas sa main. Il ne savait si le tremblement qu’il devinait en elle était le fait de son émotion, ou de son embarras. Dans cet instant où il risquait toute sa passion, Escartille fut saisi de vertige, craignant l’irritation de Louve plus que tout. Ses yeux plongèrent soudain dans ceux du troubadour, comme pour le sonder, guetter la vérité qu’elle pourrait y lire. Il se livrait à elle tout entier ; elle le comprit.

Escartille entraîna Louve dans un recoin du château.

Elle ne résista pas.

Elle s’abandonna avec toute la candeur de l’amour, suscitant chez Escartille la passion la plus inspirée. Oui, le troubadour se souviendrait de cette belle Espagnole, de la façon dont elle s’arrangea pour congédier ses servantes et se dissimuler à son père, des délices où elle l’entraîna, de ces bracelets tintant dans l’obscurité. Ils s’endormirent au plus profond de la nuit. Ils avaient fait naufrage, ils s’étaient noyés et perdus. Lorsqu’ils se réveillèrent, eux qui avaient une fois de plus succombé aux enchantements de Puivert, Loba se redressa dans un rayon de soleil, entre les draps encore humides.

— Mon Dieu ! dit-elle.

Son visage s’assombrit. Elle regagna sa chambre en toute hâte.

Don Antonio sut-il ce qui s’était passé cette nuit-là ? Il avait cherché sa fille aux premières lueurs de l’aube. Il la trouva dans son lit, mais ne fut pas dupe des prétextes qu’elle invoqua pour son absence réitérée, ni des bafouillages de ses servantes. Il décida de mettre un terme à son séjour à Puivert. Il n’avait que trop tardé. Raymond VI l’attendait à Toulouse : il lui fallait gagner la destination ultime de son voyage. Durant le jour qui s’écoula, Escartille ne fut pas avisé de cette décision. Il ne put revoir Louve, murée dans ses quartiers. De noires pensées le submergèrent. Que pouvait faire Louve dans sa chambre ? Pensait-elle à leur nuit, et à ce jour tranquille qui l’avait précédée ? Regrettait-elle déjà de s’être donnée à lui ? Lorsque le troubadour descendit dans les jardins, il lui sembla qu’on le regardait comme un intrus en sa propre maison. Il s’aventura sous le lierre, d’où il pouvait voir la fenêtre derrière laquelle Louve se trouvait. En fin de journée, il ne put s’y tromper : les chevaux de Don Antonio étaient attelés. On n’attendait plus que le seigneur et sa fille.

Escartille retrouva Bernard du Congost dans la cour. Le seigneur de Puivert était un homme grand, fluet, aux cheveux ras. Il souhaitait que la modération demeure dans ses domaines et détestait l’agitation. Il portait ce jour-là un médaillon autour du cou, gravé des armoiries du château, ainsi qu’une cape rouge par-dessus un manteau de petit-gris, serré d’un ceinturon d’or. Dès qu’il vit le troubadour, il s’approcha de lui et s’arrêta, l’air soucieux :

— Escartille, est-ce vrai ce que l’on murmure aujourd’hui ?

— Quoi donc, Messire ?

— Que le comte Don Antonio nous quitte par ta faute ?

Escartille blêmit.

— Qu’il… nous quitte ?

Ainsi, c’était bien cela ! Ils partaient ! Ils partaient, tout simplement !

Mais… Ce n’est pas possible ! se dit Escartille.

C’était pourtant la vérité. Bernard du Congost commençait à le sermonner, mais déjà, le troubadour n’écoutait plus. Elle part ! Elle part ! ne cessait-il de se répéter.

Il voulut forcer tous les barrages pour retrouver Louve, mais rien n’y fit. Les portes étaient farouchement gardées. Don Antonio fut sourd à ses appels. Escartille tournait en rond. Rien n’était plus humiliant.

La population de Puivert se rassembla bientôt dans la cour, le long des murs : Arpaïx et Bernard du Congost, les dames voilées, les seigneurs et leurs blasons, les poètes et les musiciens, dans leurs habits somptueux. Don Antonio apparut, le menton haut, et se dirigea vers l’attelage, tandis qu’une haie se formait devant lui. Un masque de cire recouvrait son visage. Pas le moindre signe d’émotion. Drapé dans sa noblesse, il allait jusqu’à ignorer l’honneur outragé de sa fille. Il ne restait plus que le silence, et cette silhouette hiératique qui glissait vers l’attelage. Il y eut un instant où Don Antonio jeta un coup d’œil vers l’assemblée. Il repéra Escartille. Le troubadour en fut transpercé. Comme si son chagrin n’était pas à son comble, on fit venir Louve. Elle sortait de l’intérieur du château, encadrée de ses servantes. Elle apparut sublime.

Elle était recoiffée et revêtue de la plus superbe de ses robes, dont les volutes dansaient autour d’elle. Des broches d’or enserraient sa chevelure. Une mantille recouvrait ses épaules, dont les pans s’écartaient doucement à mesure de sa marche. Le fard cachait mal sa pâleur et le désarroi que l’on pouvait lire sur son visage. Sa blessure s’y peignait à présent de telle façon qu’Escartille la prenait lui-même en plein cœur. Était-ce là le résultat de son désir égoïste ? Comment le troubadour avait-il pu la condamner ainsi à cette humiliation ? Ses yeux étaient rougis de larmes. Elle jouait de son éventail. Elle était devenue l’emblème du péché et du mensonge. Devant Puivert, ce château pourtant habitué à tous les élans de la fine amor, à toutes les malices et toutes les trahisons ! Par quelle hypocrisie cet amour-là était-il intolérable ? On s’écartait sur le passage de Louve en chuchotant. Par-delà cet acharnement cruel et silencieux, la noblesse de Puivert ne pouvait contempler la belle Espagnole qu’avec respect, et y puisait même une étrange consolation. Les plus âgés songeaient à leur jeunesse enfuie ; les plus jeunes entrevoyaient pour la première fois ce que signifiait l’amour vrai. Louve se couvrait maladroitement le visage. Elle prit place dans l’attelage, ramena autour d’elle ce drapé qui n’était là que pour déguiser la perfection de sa taille. Elle était entourée d’un mystère nouveau, qui enflammait l’imagination et suscitait les plus secrètes jalousies.

Qu’elle lève les yeux vers lui !

Elle envoya alors à Escartille un regard qui survola cette triste assemblée ; et ce regard disait : quel philtre m’avez-vous fait boire, mon ami ?

— Louve ! s’écria-t-il.

Sans doute la garde de Bernard du Congost avait-elle prévu cette éventualité. À peine Escartille avait-il bougé que des bras le saisirent.

La belle le regarda encore.

— Louve, murmura Escartille.

Elle ne dit rien mais ne le quitta pas des yeux. Le troubadour fit une prière muette.

Puis il cria, de toutes ses forces :

— Je vous retrouverai ! Je vous en fais le serment, Louve d’Aragon !

Et Louve partit.

Bernard du Congost choisit de différer l’exil du jeune homme. Il le consigna quelques jours dans une chambre du château. Escartille se retrouva prisonnier d’une cage dorée, condamné à imaginer l’escorte de Louve et de son père qui s’enfuyait sur les routes. Il tambourinait contre les portes. Dans les couloirs et le creux des alcôves, on s’interrogeait : quelle maladie s’était donc saisie de lui ? Était-il fou ? Son attitude suscita une compassion amusée. On fit défiler ses amis tour à tour pour tenter de le ramener à la raison. Mais sitôt que l’on croyait avoir regagné sa confiance, il devenait colérique et violent, ou bien se murait dans le silence. Intendants, chapelains et soldats ne purent que constater leur échec. On lui envoya un prêtre, que le troubadour ne put souffrir. Vexé, l’abbé commença à parler de possession. Sur une idée d’Arpaïx, Bernard du Congost tenta une autre manœuvre. La femme du seigneur de Puivert considérait, non sans intelligence, que les emportements excessifs d’Escartille n’étaient que l’effet de son immaturité. Ils voulurent s’en servir, en introduisant dans sa chambre une créature ravissante, qui avait pour mission de lui faire oublier le souvenir de Louve. « Lorsque la vigne devient mauvaise, c’est le cep qu’il faut couper », disaient Bernard et Arpaïx, philosophes. Amandine était jolie et parfumée, elle s’était parée de bijoux et jouait des plus coquettes ondulations pour la circonstance. Elle offrit du vin au troubadour, noua et dénoua ses cheveux. Elle était toute prête à relever ses jupons pour assouvir les désirs de ce jeune homme, et les siens du même coup.

Escartille la renvoya.

Sur les instances de Don Antonio, le seigneur de Puivert avait envisagé de bannir le troubadour. Après tout, il y avait d’autres cours d’amour en Occitanie, et Bernard du Congost redoutait fort que cette incartade, en apparence anodine, n’ait de fâcheuses conséquences sur les relations de Puivert et du comte de Toulouse avec la maison d’Aragon. Mais à présent, c’était Escartille qui réclamait l’exil. Le châtiment sombrait ainsi de lui-même. La population du château était divisée : les uns, trouvant que tout cela était devenu du plus grand ridicule, exhortaient leur suzerain à prononcer enfin cet exil qu’il ne cessait de différer ; les autres souhaitaient que Bernard du Congost absolve Escartille une fois de plus. Le seigneur de Puivert, partagé entre ces influences contradictoires, s’apprêtait à prendre une décision définitive. Il n’en eut pas besoin, car un soir, les cris cessèrent. Escartille n’éleva plus la voix d’aucune manière. Vaincu, il s’en remit au cours des choses, et à son propre épuisement. En désespoir de cause, on lui permit d’aller et venir à sa guise. Il resta encore longtemps dans sa chambre, sans rien faire, considérant d’un œil absent ces portes qu’on lui ouvrait.

Partir… Mais partir où ? Comment saurais-je où la chercher ? Alors…

Renoncer ? C’est donc là ma seule issue ? Pour elle, et pour moi renoncer ?…

Louve était passée. Il l’avait croisée, comme un rêve sans espoir.

Il sortit.

On lui interdisait encore de quitter le château, tant qu’il n’aurait pas fait le serment d’oublier son amour passager.

Pâle, le visage fermé, il arpentait les couloirs comme un fantôme. Il semblait indifférent à tout. On le trouvait dans les jardins, dans le verger, à l’ombre des murailles. Il glissait en silence devant l’âtre, tandis que l’on préparait les festins du jour. On le provoquait de temps en temps, on l’incitait à se joindre aux agapes, on le plaisantait, sans parvenir à lui arracher le moindre sourire. Il errait sans but à toute heure du jour et de la nuit. Au coucher du soleil, il regagnait sa chambre, d’où il entendait encore monter les rires et les danses. Il lorgnait pensivement sur son rebec, caressait son archet, grattait les cordes de l’instrument. Il ne savait plus que faire ni que croire. Il se laissait aller, plongeant chaque jour un peu plus dans son mutisme. On s’habitua finalement à cette demi-présence. Bernard du Congost n’y prêtait plus guère d’attention. Il autorisait Escartille à circuler dans le château, se disant que le troubadour était jeune encore, et que sa virilité finirait bien par le ramener dans le droit chemin. Escartille était l’objet de conversations intrigantes. Il devenait une curiosité, en quelque sorte.

Le temps ! Le temps n’a plus d’importance.

Trois saisons s’écoulèrent ainsi.

Une pluie battante tombait dans les jardins.

Il faisait nuit noire.

Escartille se trouvait près des remparts. Il essayait de distinguer les contours du lac dans la vallée, et la silhouette des collines, des montagnes aux flancs déchiquetés. Il grelottait. Les gouttes de pluie ruisselaient de son chapeau, se glissaient dans son cou, sur sa gorge, le long de son corps. Ses mains tremblaient.

Je vous retrouverai ! Je vous en fais le serment, Louve d’Aragon !

L’orage grondait. Escartille leva les yeux, contemplant ces brèves illuminations, le firmament déchiré de tonnerre, qui s’embrasait avant de retourner à ses sourdes ruminations. Soudain, il entendit les sabots d’un cheval, puis un hennissement. Quelques instants plus tard, détournant la tête, il vit une torche danser devant ses yeux, qui risquait de s’éteindre à chaque seconde.

Deux personnes s’approchaient. L’une d’elles était un homme, au visage sombre. Escartille retint un cri lorsqu’il aperçut ces traits durs, striés d’une balafre, qui donnaient au nouvel arrivant l’air d’un bandit de grand chemin. L’homme avait des cheveux hirsutes et portait un manteau encapuchonné. Il laissa passer la personne qui était venue avec lui. C’était une femme, encapuchonnée elle aussi, qui semblait porter quelque chose dans ses bras. Un panier peut-être, dissimulé sous un linge. Elle avait un visage rond, un double menton, des hanches larges ; quelques rides couraient sur son front. Cette fois, Escartille poussa une exclamation.

Il venait de reconnaître Inès, l’une des confidentes de Louve. Elle promenait autour d’elle des regards inquiets et égarés.

— Comment êtes-vous entrés ici ? demanda-t-il soudain.

— Je n’ai pas beaucoup de temps, dit la servante d’une voix étranglée. J’ai avec moi un papier frappé du sceau de Don Antonio, que ma chère Loba lui a subtilisé avant d’imiter son écriture. La garde de Puivert croit mon message adressé à messire Bernard du Congost. Et vous savez comme moi que les défenses de ce château ne valent guère l’obstination d’une Aragonaise. Mais hâtons-nous, on ne tardera pas à se rendre compte de la supercherie… J’ai quelque chose pour vous.

— Une lettre d’elle ? s’exclama le troubadour. Donnez-la-moi ! Ainsi, elle ne m’a pas oublié, malgré tout ! Où est-elle ? Comment va-t-elle ?

— Ce n’est pas une lettre.

Il y eut un nouvel éclair. Le vacarme de l’eau qui ruisselait autour d’eux força le jeune homme à crier :

— Quel est ce message ?

— Elle vous envoie…

— Quoi ? Mais quoi donc, parlez !

La servante écarta alors le linge qui recouvrait ce qu’elle tenait entre ses bras, et que le troubadour avait pris pour un panier.

Ce fut un choc.

— Ceci.

Un nouveau-né se trouvait emmitouflé contre le sein de la servante.

Escartille porta une main à sa bouche.

Oh, Seigneur.

Le poupon avait les yeux fermés, les mains crispées contre sa bouche. Son corps était recroquevillé dans le linge. Tremblait-il ? Escartille écarquilla les yeux, tétanisé, ne sachant que faire. Il regarda l’enfant, la servante, puis de nouveau l’enfant.

— Ce bébé est vôtre, dit la jeune femme. Don Antonio avait projeté de le tuer. C’est à ses yeux un bâtard illégitime. La honte de sa maison ! Ma maîtresse l’a mis au monde dans une retraite sûre, un ermitage où il l’a reléguée quelque temps. Don Antonio a voulu se saisir de l’enfant et le faire disparaître, sitôt qu’il serait né. Mais nous avons été plus promptes et avons réussi à l’en empêcher. Ils ont séjourné longtemps à Toulouse et à Carcassonne. Louve ne pouvait le garder. Elle a voulu vous le confier. Prenez-le et veillez sur lui !

Elle glissa le nourrisson entre les bras du troubadour. Celui-ci crut défaillir ; il le tenait contre lui – l’enfant de Louve, le sien, le leur !

— Mais… Mais…

— Vous êtes père, mon ami. Gardez-le auprès de vous, sauvez-le, élevez-le ! Et ne restez pas ici, Don Antonio pourrait lancer des hommes après vous quand il saura ce qui s’est passé. À l’heure qu’il est, il doit être au courant !

La servante, pressée et anxieuse, fit mine de tourner les talons.

Escartille s’écria encore :

— Mais… où allez-vous ? Où est Louve, où est-elle ?

La servante se retourna. Elle pleurait.

— Je dois repartir. Je ne puis vous dire où elle se trouve à présent, et ma route est longue. Pour votre sécurité et celle de ma maîtresse, il vaut mieux que vous ne sachiez rien. Loba n’a pas oublié ce que vous lui avez dit, le jour où elle est partie. Oui, elle vous retrouvera – un jour ! Mais par pitié, laissez-la en paix maintenant ! Ne cherchez pas à la rejoindre ! Respectez ses vœux et sauvez son enfant, il est de noble sang. Vous n’imaginez pas quel est son déchirement, Escartille, vous n’imaginez pas comme elle a souffert. Je ne sais si je dois vous bénir ou vous maudire de ce que vous avez fait. Loba est comme ma fille, je l’ai vue naître et je lui ai donné le sein. Je risque ma vie en venant ici, comme elle a risqué pour vous son honneur. Mon dévouement n’est rien, pensez au sien. Tous ses espoirs sont maintenant entre vos mains ! Mais prenez garde : votre pays est dangereux, vous savez comme moi ce qui s’y passe.

Elle tournait de nouveau les talons.

Escartille se jeta en avant.

— Attendez ! Le nom ! Quel nom lui a-t-elle donné ?

La servante regarda Escartille.

— Elle l’a appelé Aimery !

Elle eut un dernier regard pour le troubadour, puis s’enfonça dans la nuit.

Escartille, immobile, vit les deux silhouettes s’évanouir dans l’obscurité.

La nuit même, il rassembla ses affaires ; il prépara ses provisions ainsi que ses maigres bagages et fit harnacher un cheval. Aimery, songeait-il en regardant l’enfant. Un fils ! Et moi, Seigneur, je suis son père ? Mais… c’est trop de bonheur, trop de malheur ! Et c’est elle qui me l’a donné ! Elle m’aime encore ! Que vais-je faire, moi qui suis incapable de m’occuper de lui, Seigneur ? Pourquoi m’avez-Vous choisi pour cette tâche impossible ?

La voix de la servante résonna encore à ses oreilles.

Je ne sais si je dois vous bénir ou vous maudire de ce que vous avez fait.

Tandis qu’Escartille, à la lueur des torches, achevait ses préparatifs, craignant à chaque instant que les cris du bébé ne réveillent la population du château, des souvenirs de sa propre enfance refirent brusquement surface. Ce fut l’image de son père, ce père trop tôt disparu, qui lui revint en mémoire.

Un jour, il te faudra affronter la vie, Escartille. Et tu verras qu’elle n’est pas faite seulement de chants et d’amours légères ; tu verras qu’elle est semée d’embûches. Souviens-toi alors de cela : tant que tu suis la voie du cœur, le monde entier ne pourra rien contre toi.

Un long voyage l’attendait.

Escartille franchit les portes de Puivert sous les holà ! des soldats, qui le reconnurent et le laissèrent partir vers ce qu’ils imaginaient n’être qu’une promenade nocturne. Escartille salua la maigre garnison.

Tout allait si vite ! Il galopa quelques minutes, puis il se retourna une dernière fois.

L’orage était passé. Il regarda le château aux mille plaisirs, endormi dans la nuit. Il chercha à distinguer ses jardins, ses vergers, ses dentelures. Qu’elle était belle, cette cour enveloppée de flambeaux, cette cour qu’il avait vue resplendissante sous le soleil, où il avait connu tant de passions, tant de joies !

C’était bien son enfance qu’il laissait derrière lui.

Et le troubadour fut jeté dans le monde. Son voyage, son épopée commençait.

Ainsi s’acheva le premier chapitre de sa vie.

Holà, amis jongleurs ! Bénissez-moi ! Oyez, gentes dames, damoiseaux du monde entier ! Je suis Escartille de Puivert, le troubadour ! Croyez-moi : l’heure de la vérité a sonné.

Après un dernier regard pour le château, Escartille s’élança.